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Cour d'appel de Grenoble Chambre sociale 26 Janvier 2012 RG N° 09/05200


Numéro JurisData : 2012-004274

Appel d'une décision (N° RG F08/1592) rendue par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de GRENOBLE en date du 24 novembre 2009

Suivant déclaration d'appel du 14 Décembre 2009

SAS X / M. Y

 

COMPOSITION DE LA COUR :

LORS DU DELIBERE :

Monsieur Bernard VIGNY, conseiller faisant fonction de président,

Madame Dominique JACOB, conseiller,

Madame Hélène COMBES, conseiller,

 

DEBATS :

A l'audience publique du 01 Décembre 2011,

Madame Dominique JACOB, chargée du rapport, assistée de Melle Sophie ROCHARD, Greffier, a entendu les parties en leurs conclusions et plaidoirie(s), conformément aux dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, les parties ne s'y étant pas opposées ;

 

Notifié le :

Grosse délivrée le :

Puis l'affaire a été mise en délibéré au 19 Janvier 2012, prorogé au 26 janvier 2012.

L'arrêt a été rendu le 26 Janvier 2012.

RG 09/5200 BV

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Par arrêt du 13 octobre 2010, la cour d'appel de Grenoble a, dans un litige opposant la société Transport X à M. Y, avant- dire droit, demandé à la Commission Nationale Informatique et Liberté - CNIL - de préciser le texte ou la délibération permettant de retenir l'exigence de la déclaration dite « normale » en cas d'utilisation de dispositifs chronotachygraphes.

La CNIL a, par courrier du 25 mai 2011, répondu à la demande de la cour, en indiquant qu'en application de l'article 22 de la loi du 6 janvier 1978, la société Transports X aurait dû procéder à une déclaration auprès de la CNIL préalablement à la mise en oeuvre des traitements de données à caractère personnel découlant de la mise en oeuvre de chronotachygraphes dans ses véhicules.

La société Transports X complète ses précédentes conclusions de la manière suivante :

- comme l'a relevé la Cour de Cassation, à plusieurs reprises, la loi du 6 janvier 1978 dont se prévaut la CNIL, protège les données à caractère personnel et anonyme.

- les données issues du chronotachygraphe ne peuvent être assimilées à la collecte d'informations à une preuve illicite puisqu'elles ne peuvent avoir pour effet de conférer l'anonymat.

- M. Turk, président de la CNIL, mentionne expressément que, s'il estime que les chronotachygraphes doivent faire l'objet d'une déclaration auprès des services de la CNIL, la loi prévoit un certain nombre d'exceptions à cette obligation de déclaration.

- M. Turk poursuit : « la commission peut adopter une délibération exonérant une catégorie de traitements de déclaration. Tel n'a pas été le cas concernant les traitements de données issues du fonctionnement des chronotachygraphes ».

- ceci est inexact : la CNIL, comme exposé dans la note jointe à la présente, a pris une délibération le 16 mars 2006 relevant le caractère obligatoire du dispositif chronotachygraphe. En tout état de cause, M. Turk explique que l'obligation de déclaration auprès des services de la CNIL résulte de la présence de traitements automatisés de données à caractère personnel. La question se pose donc de savoir si les données issues du chronotachygraphe constituent des données à caractère personnel.

Or, la Cour de Cassation a considéré que le critère devant prévaloir en la matière est le caractère obligatoire du procédé.

Lorsque le procédé est issu de prescriptions réglementaires dans le domaine d'activité, il n'existe aucune obligation d'information de la CNIL et les informations ainsi obtenues sont parfaitement recevables.

M. Y ajoute, pour sa part, à ses précédentes conclusions les éléments suivants :

- il est indubitable, et ceci est confirmé par le président de la CNIL dans sa note du 25 mai 2011, que les disques chronotachygraphes ont pour objet de collecter des données à caractère personnel et sont donc soumis à l'article 2 de la loi du 6 janvier 1978.

- dans ces conditions, la société Transports X devait procéder à une déclaration afin de pouvoir opposer ces données au salarié.

- faute pour la société de l'avoir fait, ces éléments sont inopposables à M. Y.

- la note sur laquelle la société fonde son raisonnement n'a pas été rédigée par la CNIL ; son auteur n'est pas connu. Elle fait référence à la recommandation du 16 mars 2006 (numéro 2006 -066) qui concerne la géolocalisation mais qui exclut de son champ les disques chronotachygraphes. Pour autant, cela ne signifie pas que les disques chronotachygraphes échappent à toute réglementation. Au contraire, le président de la CNIL confirme que ces disques caractérisent des traitements des données à caractère personnel et qu'ils doivent, conformément à la loi du 6 janvier 1978, faire l'objet d'une déclaration auprès de la CNIL préalablement à sa mise en oeuvre.

- le fait que le dispositif chronotachygraphe ait un caractère obligatoire n'est pas en soi un critère retenu par la législation, notamment la loi de 1978 pour l'exclure du dispositif.

MOTIFS DE L'ARRÊT.

1. Sur le licenciement.

La lettre de licenciement notifiée à M. Y mentionnait au titre des griefs, les éléments suivants ( extraits essentiels ) :

- l'analyse des enregistrements de notre suivi satellitaire AGAT effectuée le 13 août 2008 pour le mois de juillet, révèle que la manipulation de vos activités et de votre chronotachygraphe est particulièrement frauduleuse : portions de temps de services injustifiés plusieurs fois par semaine, exemples 2 juillet, 4 juillet, le 8 juillet, 15 juillet, 16 juillet, 18 juillet, 23 juillet (détails des agissements reprochés précisés pour chaque jour considéré)

- infractions à la réglementation sociale : 3 juillet (infraction de temps de service journalier excessif), le 28 juillet (infraction de temps de service journalier excessif et infraction de conduite journalière excessive)

- du 28 au 29 juillet (infraction d'insuffisance de repos journalier).

- non-respect des consignes de prise de gasoil : vous faites le plein dans les stations AS 24 de Saint-Léonard, Villefranche et Langres, au lieu du dépôt de Reims (en « Ad Blue », pas en gasoil).

*Grief portant sur les enregistrements.

L'article 2 de la loi du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés dispose :

« la présente loi s'applique aux traitements automatisés de données à caractère personnel, ainsi qu'aux traitements non automatisés de données à caractère personnel contenues ou appelées à figurer dans des fichiers, à l'exception des traitements mis en oeuvre pour l'exercice d'activités exclusivement personnelles, lorsque leur responsable remplit les conditions prévues à l'article 5.

Constitue une donnée à caractère personnel toute information relative à une personne physique identifiée ou qui peut être identifiée, directement ou indirectement, par référence à un numéro d'identification à un ou plusieurs éléments qui lui sont propres. Pour déterminer si une personne est identifiable, il convient de considérer l'ensemble des moyens en vue de permettre son identification dont dispose ou auxquelles peut avoir accès le responsable du traitement ou tout autre personne.

Constitue un traitement de données à caractère personnel toute opération ou tout ensemble d'opérations portant sur de telles données, quel que soit le procédé utilisé, et notamment la collecte, l'enregistrement, l'organisation, la conservation, l'adaptation ou la modification, l'extraction, la consultation, l'utilisation, la communication par transmission, diffusion ou toute autre forme de mise à disposition, le rapprochement ou l'interconnexion, ainsi que le verrouillage, l'effacement ou la destruction.

Constitue un fichier de données à caractère personnel tout ensemble structuré et stable de données à caractère personnel accessible selon des critères déterminés.

L'article 22 de la loi du 6 janvier 1978 dispose :.. « les traitements automatisés de données à caractère personnel font l'objet d'une déclaration auprès de la Commission Nationale de l'Informatique et des Libertés ».

En l'espèce, la société Transports X utilise un système de géolocalisation satellitaire, dénommé AGAT, qui enregistre le temps de service et de repos des chauffeurs routiers.

Si ce système permet de vérifier le respect par les chauffeurs routiers de la réglementation en matière de conduite, il constitue également un moyen de contrôle de l'activité de ces derniers.

Le chronotachygraphe installé dans le véhicule de M. Y collecte des données relatives à sa conduite, notamment sa vitesse, son temps de conduite et ses activités (travail, attentes...) qui constituent des données à caractère personnel au sens de la loi du 6 janvier 1978.

Les dispositifs du type de celui mis en place dans le véhicule de M. Y, ont pour objet de recueillir des données personnelles relatives aux chauffeurs des véhicules.

Ces dispositifs entrent dans le champ d'application de l'article 2 de la loi du 6 janvier 1978.

La collecte et l'enregistrement des données opérés par les chronotachygraphes doivent être considérés comme des traitements de données à caractère personnel au sens de ce texte.

L'article 22 de la loi du 6 janvier 1978 impose aux utilisateurs de ce type de dispositifs d'effectuer une déclaration auprès de la CNIL.

La société Transports X, pour s'opposer à l'obligation de la déclaration du dispositif AGAT à la CNIL invoque un document intitulé « note relative à l'opposabilité des données résultant de l'analyse du chronotachygraphe lors d'un contentieux prud'homal » dans laquelle est mentionnée une délibération numéro 2006 -066 en date du 16 mars 2006 de la CNIL qui exclut, selon elle, l'obligation de déclaration dans le domaine des transports des personnes et des marchandises par route.

Cette note ne comporte aucune signature ni identification, mais elle n'émane manifestement pas de la CNIL.

La délibération du 16 mars 2006, au demeurant non produite aux débats, fait la distinction entre les dispositifs de géolocalisation, tels que le dispositif AGAT en cause dans la présente procédure, et les dispositifs n'utilisant pas un géolocalisation.

En toute hypothèse, la lettre du président de la CNIL, en date du 26 mai 2011, en réponse à l'arrêt avant-dire droit de la cour d'appel de Grenoble du 13 octobre 2010 , est parfaitement claire.

Elle indique en effet : « je vous confirme que la mise en oeuvre de chronotachygraphes implique le traitement de données à caractère personnel. En effet, les chronotachygraphes sont des appareils de contrôle installés et utilisés sur des véhicules de transport routier, ayant pour objectif essentiel de permettre un contrôle de l'activité des chauffeurs. ».....

Le président de la CNIL poursuit, après avoir rappelé les dispositions de l'article 2 de la loi du 6 janvier 1978:

« en l'espèce, il est manifeste que le chronotachygraphe installé dans le véhicule de M. Y collecte des données relatives à la conduite de ce dernier notamment sa vitesse, son temps de conduite et ses activités (travail attentes...) lesquels constituent des données à caractère personnel au sens de la loi. C'est bien l'objet même de ces dispositifs que de recueillir des données relatives aux chauffeurs des véhicules.

Il résulte de cette définition très large (article 2 alinéa 3 de la loi du 6 janvier 1978), qui reproduit fidèlement les dispositions correspondantes de l'article 2 de la directive 95 / 46 / CE du 24 octobre 1995 , que la collecte et l'enregistrement des données opérés par les chronotachygraphes doivent être considérés comme des traitements de données à caractère personnel au sens de la loi.

Les dispositions du chapitre IV de la loi du 6 janvier 1978 imposent aux organismes mettant en oeuvre de tels traitements d'accomplir des formalités préalables auprès de la commission.....

La loi prévoit, par ailleurs, un certain nombre d'exceptions à cette obligation de déclaration. En premier lieu, la commission peut adopter une délibération exonérant une catégorie de traitements de déclaration. Tel n'a pas été le cas concernant les traitements de données issues du fonctionnement des chronotachygraphes.

Toutefois, la société transports X n'a pas procédé à la désignation d'un tel correspondant auprès des services de la commission, pas davantage à ce jour qu'à la date des faits.

Au vu de ce qui précède, je vous confirme donc que, conformément à l'article 22 susvisé, la société Transports X aurait dû procéder à une déclaration auprès de la CNIL préalablement à la mise en oeuvre des traitements de données à caractère personnel découlant de la mise en oeuvre de chronotachygraphes dans ses véhicules, ce que celle-ci n'a pas fait ».

La société transports X n'a pas procédé à la déclaration de son dispositif de géolocalisation auprès de la CNIL, ainsi qu'elle en avait l'obligation.

Les enregistrements ne peuvent être opposés à M. Y. Le jugement sera confirmé sur le premier grief.

*Grief portant sur des infractions à la réglementation sociale.

En ce qui concerne la journée du 28 juillet, il est reproché un temps de service journalier excessif (13 heures) et une durée de conduite journalière excessive (10 heures 25).

Le ticket produit par M. Y, imprimé dans son camion, montre un temps de service de 11 heures 15.

En ce qui concerne la journée du 3 juillet, il est reproché à M. Y un temps de service journalier excessif (12 heures 41).

Si l'on ajoute les heures de conduite et de services pour cette journée, le total des heures s'établit à 10 heures.

L'infraction d'insuffisance de repos journalier pour la journée du 28 aux 29 juillet n'est pas établie.

Les griefs imputés à M. Y n'étant pas établis, c'est à juste titre que le conseil des prud'hommes a déclaré le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse.

La somme allouée à M. Y au titre de l'indemnité de préavis et des congés payés afférents a été exactement calculée, de sorte qu'elle sera confirmée.

Il en est de même de l'indemnité de licenciement.

La mise à pied injustifiée doit être indemnisée par l'allocation de la somme de 2408,81 euro, outre congés payés afférents. Le jugement sera confirmé également sur ce point.

Compte tenu de l'ancienneté de M. Y, la somme qui lui a été allouée par le premier juge à titre de dommages-intérêts est insuffisante à indemniser son préjudice. Cette somme devra être portée à 29'280 euro.

2. Sur les heures supplémentaires.

La demande de M. Y se heurte à l'accord d'entreprise en date du 13 janvier 2005 qui implique un décompte de la durée du travail au quadrimestre qui permet aux salariés de bénéficier d'un maintien de salaire de 220 heures mensuelles.

Ainsi pour l'année 2007, le relevé d'activité produit par la société appelante fait apparaître les éléments suivants :

- premier cycle de 12 semaines : 792 heures 46 alors qu'il a bénéficié de 880 heures payées

- deuxième cycle de 12 semaines : 708 heures 53 alors qu'il a bénéficié de 880 heures payées

- troisième cycle de 12 semaines : 712 heures 690 alors qu'il a bénéficié de 880 heures payées.

Le jugement doit être confirmé sur ce point.

3. Sur les repos compensateurs.

M. Y produit un tableau récapitulant les repos compensateurs restants dus pour les années 2004 2005 et 2006.

La société appelante s'oppose aux demandes de M. Y aux motifs que ce dernier a manipulé son sélecteur chronotachygraphe de façon incorrecte, que sa demande est fondée sur des heures supplémentaires injustifiées et que ses calculs sont établis au mois, alors qu'ils auraient dû être effectués jusqu'au 31 décembre 2004 de manière annuelle puis par la suite au quadrimestre.

En application de l'accord d'entreprise du 13 janvier 2005, il est dû à M. Y 13 jours de repos compensateurs, soit la somme de : (2208,26 / 30) x 13 = 956,91 euro, outre les congés payés afférents.

Le jugement sera infirmé sur ce point.

4. Sur la prime d'ancienneté.

L'assiette de la prime d'ancienneté est constituée du salaire de base et des heures supplémentaires, en application des principes conventionnels.

Les bulletins de paye versés aux débats font apparaître que M. Y a perçu les primes d'ancienneté, calculées sur son salaire de base et sur les heures supplémentaires.

Le jugement sera confirmé sur ce point.

°

L'équité commande la condamnation de la société appelante à payer à M. Y la somme de 1500 euro en application de l'article 700 pour les frais exposés en cause d'appel.

PAR CES MOTIFS.

La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, après en avoir délibéré conformément à la loi.

Confirme le jugement en toutes ses dispositions, à l'exception du montant des dommages-intérêts alloués au titre de la rupture et de la demande portant sur les repos compensateurs.

Statuant à nouveau.

Condamne la société Transports X à payer à M. Y les sommes suivantes :

- 29'280 euro à titre de dommages-intérêts pour le préjudice résultant de la rupture sans cause réelle et sérieuse

- 956,91 euro à titre d'indemnité de repos compensateurs

- 95,69 euro au titre des congés payés afférents

- 1500 euro en application de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés en cause d'appel.

Déboute les parties de toute autre demande.

Condamne la société Transports X aux dépens d'appel.

Prononcé publiquement ce jour par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties ayant été avisées préalablement dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile.

Signé par M. Vigny, président, et par Mlle Rochard, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier Le président