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Le contrôle de l'activité des salariés en déplacement (geolocalisation)
Les services de géolocalisation
des véhicules peuvent informer du trajet effectué, des temps d'arrêt, de
l'heure de départ et d'arrivée et de la vitesse des véhicules routiers.
En bref ils permettent de suivre un véhicule à la trace
De nombreux argumentaires de vente de systèmes de géolocalisation,
insistent sur la possibilité pour les employeurs de contrôler la durée
du travail et d’en tirer toutes conclusions utiles.
La Cour de cassation vient de mettre un terme à cette aspiration.
Pour bien commencer, rappelons que les systèmes de géolocalisation
doivent être distingués des chronotachygraphes qui enregistrent la
vitesse, les temps de conduite, les temps d’attente, les coupures
etc.... Les chronotachygraphes sont en effet obligatoirement mis en
place dans les véhicules routiers qui transportent des personnes ou des
marchandises. Dès lors, concernant le chronotachygraphe, la
problématique de la validité de la surveillance des chauffeurs routiers
ne se pose pas. Les chauffeurs routiers sont en effet en charge d'une
prestation directement liée à l'utilisation d'un véhicule et même si un
dispositif de géolocalisation vient compléter le chronotachygraphe, cela
ne peut être considéré comme pouvant porter atteinte à leur liberté
d’aller et venir ou à leur vie privée.
Cependant lorsque le système de géolocalisation est mis en place dans
les véhicules des employés pour lesquels l'utilisation d'un véhicule
n'est qu'un moyen d'accomplir leur mission, il peut dévier en moyen de
filature électronique des salariés.
C’est pourquoi, en application de la loi informatique et libertés (telle
que modifiée par la loi du 6 août 2004), la commission nationale de
l'informatique et des libertés (CNIL) a adopté par une délibération du
16 mars 2006 une norme simplifiée concernant les traitements automatisés
de données à caractère personnel mis en œuvre par les organismes publics
ou privés destinés à géolocaliser les véhicules utilisés par leurs
employés (norme simplifiée n° 51) (NOR : CNIA0600005X).
Les finalités de la géolocalisation sont strictement encadrées par cette
norme de la CNIL. Autrement dit, la géolocalisation peut servir
uniquement à :
- respecter une obligation légale ou réglementaire imposant la mise en
œuvre d'un dispositif de géolocalisation en raison du type de transport
ou de la nature des biens transportés ;
- permettre le suivi et la facturation d'une prestation de transport de
personnes ou de marchandises ou d'une prestation de services directement
liée à l'utilisation du véhicule ;
- assurer la sûreté ou la sécurité de l'employé lui-même ou des
marchandises ou véhicules dont il a la charge ;
- permettre une meilleure allocation des moyens pour des prestations à
accomplir en des lieux dispersés, notamment pour des interventions
d'urgence ;
- et il est précisément énoncé dans cette norme que : « Le traitement
peut avoir pour finalité accessoire le suivi du temps de travail,
lorsque ce suivi ne peut être réalisé par d'autres moyens ». Nous allons
voir que d’aucuns n’ont pas lu la deuxième partie de cette phrase , ne
retenant que la possibilité contenue dans la première.
Les employeurs sont donc tenus de déclarer à la CNIL, préalablement à
leur mise en place, tous traitements automatisés de données à caractère
personnel, et ce sous peine de sanctions pénales… et de conséquences
prud’homales désagréables.
Rappelons encore que le code du travail impose l’information préalable
du comité d’entreprise sur les traitements automatisés de gestion du
personnel et sur toute modification de ceux-ci, et l’information et la
consultation préalables du comité d’entreprise sur la décision de mise
en œuvre et sur les moyens ou les techniques permettant un contrôle de
l'activité des salariés (Art. L. 2323-32 du code du travail). De même le
salarié doit être directement et personnellement informé de la mise en
place d’un dispositif destiné à obtenir une information le concernant (
Art. L. 1222-4 du code du travail).
Ceci étant posé, et malgré la relative clarté des textes, les conseils
de prud’hommes demeurent assez régulièrement saisis de questions
relatives :
- Soit à la validité même de la mise en place dans l’entreprise d’un
système de géolocalisation,
- Soit à l’exploitation contestée des données obtenues par les
employeurs au moyen des systèmes de géolocalisation.
Ainsi, concernant la validité de la mise en place d’un système de
géolocalisation, une décision du 14 septembre 2010 (Société Mille
Services/Rémi X) de la cour d'appel de Dijon a énoncé qu'un licenciement
pour utilisation d’un véhicule de service à des fins personnelles était
sans cause réelle et sérieuse parce que l'employeur s’était servi, pour
constater les faits reprochés au salarié, d'un dispositif de
géolocalisation non déclaré à la CNIL et à l'insu des salariés (en
l’espèce une note de service insuffisante car ne mentionnant pas
l’existence du dispositif de géolocalisation). La société a été
condamnée à payer une indemnité pour licenciement sans cause réelle et
sérieuse mais également une indemnité de 1 000 € au salarié pour
exécution déloyale du contrat de travail. Même type de décision de la
Cour d’appel de Versailles le 17 septembre 2010 (CA Versailles, 17e ch.,
no 09/02316). Il convient de retenir que dans ces deux affaires, aux
faits similaires, tout ce qui était issu du traitement automatisé des
données a été considéré comme illégal, et les preuves fournies par les
employeurs ont ainsi été rejetées.
Autre source de contentieux, et non des moindres, l’utilisation même des
données issues du système de géolocalisation. Dans un arrêt récent (3
novembre 2011), la Cour de cassation a rappelé deux principes :
- nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés
individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas
justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au
but recherché (L. 1121-1 du code du travail) ;
- un système de géolocalisation ne peut être utilisé par l'employeur
pour d'autres finalités que celles qui ont été déclarées auprès de la
CNIL, et portées à la connaissance des salariés.
La conjonction de ces deux principes a permis dans cette affaire de
sanctionner un employeur qui prétendait calculer la rémunération du
salarié sur la base des données obtenues par le système de
géolocalisation mis en place dans le véhicule d’un salarié qui, tenu à
un horaire de 35 heures par semaine, était cependant, aux termes de son
contrat de travail, libre de s'organiser, à charge pour lui de respecter
le programme fixé et de rédiger un compte-rendu journalier précis et
détaillé, lequel faisait la preuve de son activité.
La validité même de la mise en place du système de géolocalisation
n’était pas en cause : le système avait été déclaré à la CNIL et le
salarié connaissait l’existence du système. Cependant, l’employeur est
sanctionné car il n’avait pas indiqué à la CNIL qu’il entendait utiliser
les données pour contrôler le temps de travail effectif de ses salariés,
mais seulement pour améliorer le processus de production, en
l’occurrence optimiser les prochaines visites, en analysant a posteriori
les temps des déplacements.
Ce qu’il faut surtout retenir, c’est que l’employeur n’aurait de toutes
façons, pas pu déclarer qu’il envisageait de contrôler le temps de
travail effectif de son salarié car le contrat de travail prévoyait à la
fois que le salarié était libre de s'organiser, à charge pour lui de
respecter le programme fixé, d’autre part que son compte-rendu
journalier précis et détaillé faisait la preuve de son activité.
La cour de cassation estime donc que :
- l’utilisation de la géolocalisation pour assurer le contrôle de la
durée du travail est illicite si le contrôle peut être fait par un autre
moyen ;
- l’utilisation de la géolocalisation pour assurer le contrôle de la
durée du travail est injustifiée lorsque le salarié dispose d'une
liberté dans l'organisation de son travail.
Il semble donc bel et bien impossible de déclarer à la CNIL un usage de
contrôle de la durée du travail car les cas où une autre forme de
contrôle ne pourrait être mise en place ne semblent pas exister (on peut
toujours, en effet, demander au salarié de réaliser un compte rendu de
ses activités itinérantes avec des rapports de visite éventuellement
contresignés par les clients). La possibilité vendue par les systèmes de
géolocalisation est donc illusoire en l’état de cet arrêt dont on notera
qu’il vient renforcer et rendre plus sévère la norme de la CNIL selon
laquelle « Le traitement peut avoir pour finalité accessoire le suivi du
temps de travail, lorsque ce suivi ne peut être réalisé par d'autres
moyens ».
Autre conséquence portant cette fois ci sur la rédaction même des
contrats de travail. Il est courant de lire dans les contrats que le
salarié, la plupart du temps rémunéré au forfait, est « libre
d’organiser son temps de travail » parce qu’il disposerait d’une «
réelle autonomie dans l'organisation de son emploi du temps ». L’arrêt
du 3 novembre 2011 vient donner tout son sens à cette formule, à
utiliser par conséquent avec bonne foi.
Reste à savoir si les salariés sont vraiment gagnants avec cette
décision. En effet, un salarié pourra-t-il faire la preuve de la
réalisation d’heures supplémentaires en se servant des données issues
d’un système de géolocalisation alors qu’il aura été indiqué dans son
contrat qu’il est libre de s’organiser comme il l’entend ?
Jurisprudence « à suivre » !
Jacqueline
CORTES
Avocate au Barreau de Paris
Infos pratiques :
Attention ! Les membres de la CNIL peuvent se rendre entre 6 heures et
21 heures dans tout local servant à la mise en œuvre des traitements de
données à caractère personnel et se faire communiquer toute pièce utile
à leur mission et l'opposition du responsable des lieux peut être
constitutive du délit d'entrave, puni d'un an d'emprisonnement et de 15
000 euros d'amende. Le
site Internet de la CNIL propose un module
interactif permettant à l'employeur de vérifier si un fichier doit faire
l'objet d'une déclaration simplifiée ou normale.
Concernant les sanctions prévues par le code pénal, il est notamment à
relever que le défaut de déclaration (art. 226-16 du code pénal) est
puni par une amende de 300 000 € et une peine d’emprisonnement de 3 ans,
et que le détournement de données du but déclaré (art. 226-21 du code
pénal) est puni par la même peine d’amende mais par une peine
d’emprisonnement de 5 ans.
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